French Tech : la Ligue 1 de l’entrepreneuriat face à la Champions League mondiale de la Silicon Valley
La France a du talent, mais elle joue avec le frein à main.
Si on veut passer de la Ligue 1 à la Champions League de l’entrepreneuriat, il va falloir changer de culture.
Radicalement.

Cet article est une synthèse et des réflexions autour de l’épisode du podcast Silicon Carne : « La vérité sur la bulle de l’IA et les risques pour l’économie mondiale ».
🧭 L’heure du bilan : beaucoup de com’, peu de conversions
Depuis dix ans, la French Tech brille dans les classements et les conférences.
On célèbre ses licornes, ses levées de fonds, ses cartes LinkedIn rouges et blanches, ses “success stories”.
Mais derrière le storytelling, la réalité est plus nuancée : peu d’exits majeurs, peu de champions mondiaux, et surtout une dépendance persistante à l’État.
Un post LinkedIn vantant Paris comme “capitale mondiale des start-ups” a récemment tourné.
Sauf qu’en creusant, on découvre le même texte… copié-collé pour Amsterdam.
La vitrine est belle.
Mais la marchandise, elle, reste coincée en douane.
💡 Les vraies réussites existent, mais elles ne suffisent pas
Bien sûr, tout n’est pas à jeter.
Des boîtes comme Alan, Doctolib ou Qonto sont de vraies réussites : utiles, solides, bien exécutées.
Mais soyons lucides : aucune entreprise française n’a encore atteint les 100 milliards de valorisation.
Pendant ce temps, les États-Unis, la Chine ou même Israël sortent des champions mondiaux à la chaîne.
Pourquoi ?
Parce que la France confond écosystème et étiquette.
Elle a construit une marque — “la French Tech” — mais pas encore une culture entrepreneuriale profonde.
Et cette différence est fondamentale.
🧠 Le problème n’est pas Macron, c’est le mindset
C’est le point le plus fort du débat :
“Se plaindre de Macron quand on entreprend, c’est refuser de regarder où est le vrai problème : en soi.”
En France, beaucoup d’entrepreneurs cherchent d’abord à séduire l’État, à bénéficier d’un programme, à souscrire à un label, à être “accompagnés”.
On a institutionnalisé la dépendance au lieu de célébrer l’indépendance.
À force de marcher aux côtés de la French Tech, certains finissent par oublier de courir.
Pendant ce temps, ailleurs, on n’attend pas.
On crée, on pivote, on se plante, on recommence.
Sans subvention, sans permission, sans validation publique.
🎓 Grandes écoles, grandes prisons
Autre blocage culturel : l’élitisme.
Les “stars” de l’entrepreneuriat français sortent souvent des grandes écoles — Polytechnique, HEC, Centrale.
Ces profils ont déjà “remonté le courant” : concours, classe prépa, réussite académique.
Ils ont prouvé leur valeur dans le système.
Leur entourage ? Le CAC 40.
Leur réflexe ? Rester dans le réseau.
Leur tentation ? Créer “dans les clous”.
Le problème, c’est que le monde ne joue pas dans les clous.
Quand ces élites arrivent à San Francisco avec leur diplôme, personne ne sait ce qu’est “Polytechnique”.
Et là, il faut tout recommencer.
Reprendre le risque, sans le prestige.
Un effort que beaucoup refusent de refaire.
💶 La honte de l’argent : un poison français
Autre héritage lourd : la culpabilité catholique face à la réussite financière.
Dans les pays latins, parler d’argent est encore perçu comme vulgaire.
Gagner beaucoup, c’est presque suspect.
Assumer son ambition, c’est arrogant.
Résultat :
- Les entrepreneurs osent à peine afficher leur réussite.
- Les créateurs préfèrent se dire “passionnés” que “prospères”.
- Et ceux qui parlent ouvertement de richesse — comme Éric Larchevêque ou Anthony Bourbon — se font souvent détester.
Pendant ce temps, aux États-Unis, le capitalisme est une culture.
L’entrepreneur est célébré, pas jalousé.
Parce qu’il crée de la valeur, de l’emploi, de l’avenir.
Et le paradoxe ultime ?
Ce ne sont pas les grands patrons français qui assument le plus leur capitalisme…
Ce sont les rappeurs.
Les seuls à revendiquer haut et fort : “J’ai bossé, j’ai gagné, je réussis.”
📈 Travailler ne rend pas riche. Posséder, oui.
Les Français croient encore que la richesse vient du travail.
Qu’en “travaillant beaucoup”, on finira “riche”.
C’est faux.
Le travail améliore ton niveau de vie.
L’equity crée la richesse.
C’est une leçon fondamentale apprise dans la Silicon Valley :
“Chaque matin, demande-toi non pas combien tu vas gagner, mais combien d’equity tu vas créer.”
Trois manières d’y arriver :
- Créer ta boîte → tu détiens tout, mais tu prends tous les risques.
- Rejoindre une startup avec des stock-options → tu partages le risque, tu partages la réussite.
- Investir dans d’autres entreprises → tu mises sur le talent des autres.
L’équation est simple :
celui qui détient le capital gagne toujours plus que celui qui échange son temps.
💥 Le mythe “tout le monde peut entreprendre”
Ce discours-là, martelé par la BPI et certains influenceurs, est une erreur majeure.
Tout le monde ne peut pas entreprendre.
Et surtout : tout le monde ne devrait pas.
Entreprendre, c’est sacrificiel.
Tu y laisses ton temps, ton argent, parfois ta santé, ton couple, ton équilibre mental.
C’est un choix de vie, pas un programme de reconversion.
“Être entrepreneur, c’est accepter de devenir un peu taré.”
Et c’est justement pour ça que c’est noble.
Aux États-Unis, on te dit “thank you for your service”.
En France, on te dit “t’as pas peur de tout perdre ?”.
🇫🇷 Entreprendre pour son pays
Et si on remettait les choses dans le bon ordre ?
Et si l’acte d’entreprendre devenait un acte patriotique ?
Pas dans un sens nationaliste, mais dans un sens constructif.
“On entreprend pour son pays.”
Parce que créer de la valeur, c’est aussi créer du sens, de la fierté, du collectif.
C’est participer à la souveraineté économique, à l’innovation, à la vitalité du pays.
Et cet impact, il ne doit pas se limiter à “l’écologie” ou au “social”.
Il peut être démocratique, sécuritaire, financier, culturel.
L’entrepreneur n’est pas un profiteur : c’est un pilier du progrès.
🌍 Le vrai frein n’est pas le financement, mais le terreau
Autre idée reçue à abattre :
“On ne réussit pas en France parce qu’on manque de financement.”
Faux.
Il y a du capital en France, des talents, de la volonté.
Ce qui manque, c’est le terreau fertile.
Un environnement qui autorise, accélère, valorise.
Le problème, c’est que les règles du jeu sont souvent écrites par les géants, pour les géants.
Les startups se retrouvent dans un écosystème cartélisé, verrouillé par les mastodontes (Air Liquide, Orange, EDF, etc.).
Même combat dans la tech mondiale :
les grandes boîtes plaident pour plus de régulation dans l’intelligence artificielle,
parce qu’elles savent qu’elles seules pourront la respecter.
C’est du génie politique — et un poison pour l’innovation.
Le RGPD a fait la même chose en Europe :
il a rendu quasi impossible la naissance d’un nouveau réseau social européen.
Un Facebook qui “plie” face à la loi… mais en sort plus fort que jamais.
⚙️ À Paris, on a les meilleurs Français. En Silicon Valley, les meilleurs du monde.
C’est la punchline du débat.
Paris, c’est la Ligue 1.
La Silicon Valley, c’est la Champions League.
La différence ?
L’intensité, le rythme, la densité de talent.
À Station F, on bosse fort, mais à 19h, il n’y a plus personne.
En Californie, on bosse tard, on vit pour le projet, on respire ambition.
Une entrepreneure passée de Station F à San Francisco raconte :
“J’ai compris là-bas, pour la première fois, ce que voulait dire entreprendre.”
C’est viscéral.
C’est dans l’air, dans les tripes, dans le quotidien.
C’est une culture.
Une religion du risque.
🔁 Changer de culture, pas seulement de gouvernement
On arrive à la fin d’un cycle politique.
Le “macronisme” a porté la French Tech comme un étendard.
Mais demain, les vents pourraient tourner.
Et si le climat devient moins “business friendly”, la tech devra survivre par elle-même.
“Il ne faut plus attendre l’État. C’est à nous de nous prendre en main.”
Il faut redonner du pouvoir à ceux qui construisent.
Aux ingénieurs, aux makers, aux bâtisseurs.
Pendant des années, la France a confié son avenir digital à des diplômés de Sciences Po.
Peut-être est-il temps de le rendre à ceux qui savent coder, concevoir, fabriquer.
🇫🇷 “On le fait pour la France”
La conclusion du débat est belle, simple et puissante :
“On le fait pour la France.
Pour sauver le pays.
Mais on build, quoi !”
Redonner de la fierté nationale,
désétatiser la tech,
libérer les entrepreneurs du poids de la honte,
et réconcilier la réussite individuelle avec l’intérêt collectif.
C’est tout le défi des dix prochaines années.
Pas un défi de financement.
Pas un défi politique.
Un défi culturel.
🧩 En résumé
La France n’a pas un problème de talent.
Elle a un problème de mentalité.
Elle croit encore que l’entrepreneuriat est une “chance accordée”, alors que c’est une “bataille choisie”.
Elle se félicite d’avoir des “labels”, alors qu’elle devrait avoir des “légendes”.
Elle célèbre les start-ups du moment, au lieu de bâtir les géants de demain.
Si on veut voir naître les Tesla, les Stripe ou les OpenAI français,
il faut cesser de vouloir plaire à l’État,
et recommencer à vouloir changer le monde.
Et si, pour une fois, on décidait d’entreprendre non pas contre la France,
mais pour la France — avec fierté, exigence et audace ?